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A lire : “La Chambre des innocents”, ou le long combat des victimes d’erreur judiciaire

Ils ont passé plusieurs semaines, mois voire années en prison, avant d’être innocentés. Une erreur que ces victimes de la justice entendent bien faire payer à l’Etat. Le journaliste Mathieu Delahousse a passé une année entière à leurs côtés et le raconte dans un livre, “La chambre des innocents”.


Le 24 juillet 2001, Mohammed C. est interpellé à la gare de Bruxelles-Midi à la suite d’un contrôle d’identité. D’abord détenu en Belgique, le jeune homme, âgé de 28 ans au moment des faits, est sous le coup d’un mandat d’arrêt prononcé par la Cour d’assises de Paris pour viols sur mineurs. Après son transfert en France, la justice finira par se rendre compte que le Mohammed C. détenu maintenant depuis 5 mois et demi n’est pas le Mohammed C. visé par le mandat d’arrêt, mais un homonyme né la même année, en Guinée, de l’agresseur recherché. Mohammed C. n’avait rien à se reprocher, et sera donc relâché par la justice française.

Des dossiers “hors norme”

De l’aveu de son avocat maître Berna, le dossier de Mohammed C. est “hors norme” et sans précédent. Mais dans cette chambre du palais de justice de Paris, où se réunit un lundi par mois la commission nationale de réparation des détentions, les dossiers traités sont rarement ordinaires. Mathieu Delahousse a pu le constater pendant l’année qu’il y a passée. Assis sur les bancs d’une “jolie petite salle, lumineuse à souhait, claire, propre, ornée de bois nordique, et si bien agencée qu’elle en serait presque chaleureuse, conviviale“, à observer la façon dont la justice française donne un prix aux vies gâchées par une détention carcérale imméritée.


Quand la justice établit une règle, il y a toujours une réaction viscérale. Et pour moi, cette chambre, c’était l’endroit parfait pour parler de cela”, se rappelle l’auteur


De tous les cas traités en un an par la commission nationale de réparation des détentions, Mathieu Delahousse en a retenu une vingtaine, condamnés pour des délits allant du vol à main armée à la complicité d’escroquerie en bande organisée en passant par l’agression sexuelle. “J’ai surtout gardé ceux qui me prenaient aux tripes. Certains cas faisaient naître une intensité dans la salle, ou soulevaient un problème. Ce qui est aussi intéressant“. Après leur passage en prison, qui peut se compter en jours comme en mois, tous ont été relâchés, innocentés, relaxés ou acquittés. Mais l’injustice qu’ils ont subie n’est pas sans conséquence. Les relations amoureuses, les études, la santé, l’emploi, sont autant de choses qui ne résistent bien souvent pas à la longueur d’une enquête et d’un procès.



La prison comme marque indélébile


Pire encore, le récit de Mathieu Delahousse montre des gens que la prison continue de poursuivre bien après leur sortie. Sur le plan professionnel, comme le montre le cas de Jean-François Lhérété, énarque et premier conseiller à la Cour des comptes, incarcéré pendant 98 jours en détention provisoire pour abus de faiblesse, recel d’abus de faiblesse et association de malfaiteurs. En se présentant devant la commission nationale de réparation des détentions pour demander une indemnisation plus grande que celle qui lui a déjà été allouée, l’homme cherche une compensation à quelque chose qu’il ne récupérera jamais : son image.


Ce que Thomas S. ne récupérera jamais lui, c’est sa tranquillité d’esprit. Depuis sa sortie, son emprisonnement le poursuit sur le plan psychologique. Thomas S. a été accusé puis innocenté de viol et a passé 46 jours en prison. Sur le banc de la chambre du palais de justice de Paris, Mathieu Delahousse assiste au discours de son avocat qui rappelle le traitement que subissent les “pointeurs” (mot d’argot pour désigner les violeurs) en prison. Son client peine encore à trouver le sommeil, neuf ans plus tard. Pour cela, la cour lui accorde un dédommagement de 8 500 euros, accompagnés de 3 588 euros de frais d’avocat.


Cet homme a subi une double peine. La violence de l’institution judiciaire, et celle du milieu carcéral. Pendant des mois, il n’avait aucun point d’appui. C’est le cauchemar absolu”, rappelle Mathieu Delahousse.


Il n’existe pas de barème pour mettre un prix précis sur le nombre de jours passés en prison. “Techniquement, la seule définition donnée est le choc carcéral. Donc l’âge, le nombre d’enfants, la profession, l’argent perdu à cause de la détention… Mais même si les magistrats n’en parlent pas vraiment, l’impression et la conviction entrent aussi en ligne de compte” explique l’auteur.


Ainsi, en plus des preuves matérielles demandées pour justifier les frais d’avocats à rembourser, les innocentés doivent également faire valoir ce que leur détention a pu leur faire perdre tout en défendant une image, le tout à l’issue de procès souvent long et après un traumatisme important dans leur vie. Certains innocentés n’ont d’ailleurs parfois pas la force d’aller se présenter devant la commission pour demander une réparation, préférant en rester là avec la justice.



La dure réalité des échecs de la justice


Rédigé à la première personne, La Chambre des innocents conte également l’évolution du journaliste Mathieu Delahousse en tant que spécialiste des affaires judiciaires convaincu de la justesse du système et qui se confronte aux erreurs de ce dernier. “Je me suis aperçu qu’il y avait des tas de dossiers où il n’y a pas suffisamment d’éléments pour enquêter, et on se retrouve face à une médiocrité du service public de la justice qui laisse ces innocents en prison longtemps, des avocats qui n’interviennent pas beaucoup parce que le cas n’est pas célèbre, des services sociaux qui n’ont pas le temps de prendre en charge en prison… Ce ne sont pas des bavures, mais c’est de la médiocrité. Et moi ça m’a beaucoup choqué“. Profondément humain, son livre offre une plongée saisissante dans une poignée de vies brisées, en quête d’impossible : réparer ce qui ne peut l’être.



A lire:

La Chambre des innocents, par Mathieu Delahousse (Flammarion)






Source: http://www.lesinrocks.com/2017/06/24/actualite/la-chambre-des-innocents-ou-le-long-combat-des-victimes-derreur-judiciaire-11957688/


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